Skopje: De la démesure

J’ai fait le saut en Macédoine, à Skopje. C’est parmi les plus petits pays que j’ai visités… et pourtant, quand tu vas voir les bâtiments et les statues du centre de la ville, tu vas croire que je suis rendue dans la capitale… d’un empire. Rien de moins. Tu me diras si tu trouves quelques choses de «modeste» dans les images.

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Pont de la culture, Skopje, Macédoine

Une des premières questions que je me suis posées c’est «Qui paie pour ça?». Le centre de la ville, c’est simplement  la dé-me-sure en parsonne.

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Musée archéologique, Skopje, Macédoine

De l’antique récent. Un ensemble urbanistique qui semble viser la surcharge, la décadence. Difficile de résister au spectaculaire, en tous cas. C’est peut-être exactement le but : on a envie d’y retourner pour comprendre pourquoi on feele de même.

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Bâtiment ministériel, Skopje, Macédoine

Pauvres jeunes qui naîtront dans la capitale, ils risquent de ne jamais être impressionné.e.s par la côte magnétique de Chartierville!

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Skopje, Macédoine

Alors, la question demeure, pourquoi un si petit pays démocratique enclavé, avec peu d’habitants et une faible économie, bâtie des ponts et érige des statues coûtant des millions d’Euros dans sa capitale?

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Le guerrier à cheval (ou Alexandre le Grand), Skopje, Macédoine

En 1963, quand la Macédoine est une des républiques de la fédération yougoslave, un tremblement de terre détruit tous les bâtiments de valeur historique et culturelle. Cela incluant les musées, il n’est rien resté des artefacts qui y étaient exposés ou conservés.

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Arc de triomphe (sans triomphe militaire…), Skopje, Macédoine

Il y a plus de 1000 morts; la communauté internationale se rallie pour le déblayage, la reconstruction, l’aide (toit, nourriture, soins). Pour la première fois de la guerre froide, des soldats russes et états-uniens cohabitent dans la même ville… de façon pacifique! Les joies de la neutralité de la Yougoslavie de Tito. Le meilleur des deux mondes en termes d’alliance politique : ne pas choisir entre l’URSS et les É.-U..

Le centre-ville devant être reconstruit, le plan d’urbanisme d’un architecte japonais est adopté. Futuriste et résolument moderne. Le plan n’a malheureusement jamais été complété.

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Les bureaux de la poste macédonienne, Skopje

En 2010, un autre plan voit le jour. Celui du premier ministre du moment lui-même (en tous cas, selon ses dires), le plan «Skopje 2014». Une véritable campagne de propagande architecturale, mettant en valeur l’Homme macédonien et son passé à travers un processus d’«antiquitisation».

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Pont de l’histoire, Skopje, Macédoine

 

Et j’utilise «Homme» sciemment. Parmi les statues à perte de vue (on en perd même le décompte), la seule femme qui soit identifiable (et même pas identifiée) est Olympe, la mère d’Alexandre le Grand. Qui, bien sûr, peut être fière d’avoir enfanté un général si brillant qu’il n’a pas perdu une seule bataille. Ainsi donc, cet accomplissement seul mérite qu’on lui dédie une fontaine où quatre statues la représentent à quatre stades de la vie d’Alexandre : enceinte, allaitant, lui faisant un câlin, essuyant son menton…

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La fontaine d’Olyme, celle de Philippe II en arrière-plan, Skopje

Tout près, la fontaine de Philippe II de Macédoine (le père d’Alexandre) lui fait, littéralement, de l’ombre. Elle fait presque trois fois la hauteur de celle d’Olympe, mais lui, on ne le voit pas en train de changer une couche, de border Alexandre ou de jouer au soccer (lancer un disque?!) avec lui… pauvre Philippe dont la paternité n’est pas soulignée.

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La prêtresse péonienne, Musée archéologique, Skopje

Ce serait honteux de passer sous silence la seconde femme à qui on a dédié une statue au niveau des passants (les attributs féminins des autres décorent quelques corniches à 5 mètres et plus de la rue). Au beau milieu du pont qui mène au Musée archéologique se dresse une prêtresse péonienne (les Péoniens, peuple habitant le territoire de la Macédoine, ont été conquis par le père d’Alexandre au IVe siècle av. J.-C.). On ne lui a pas donné de nom, mais on dit que la société dans laquelle elle vivait était probablement matriarcale. Ses os et ses parures reposent dans le musée archéologique. Son importance est  déduite par l’énorme disque de bronze (symbole de pouvoir) qu’elle portait à la ceinture. Quand on m’a expliqué qui c’était, on a tout de même trouvé le moyen de banaliser son pouvoir en soulignant que son influence était probablement due à l’opium que contenait le médaillon qui pendait à sa ceinture… ( B’en oui, Ève enfirouape Adam. Pauvre Adam qui n’a pas reçu le don de l’esprit critique par sa fée marraine.)

Je sais, on a aussi de la difficulté avec la diversité de nos statues au Québec (pour un paquet de raisons, bonnes et moins bonnes), mais j’ai tout de même posé la question au guide. Il a fait un sourire triste et m’a répondu qu’historiquement les Macédoniennes n’ont pas pu se mêler d’affaires publiques et donc que les autorités n’ont pas pu en choisir qui aient marqué la culture ou l’histoire du pays pour figurer sur un de leurs ponts du centre de la ville. Pourtant, moi, j’ai vu sur le pont des hommes (bien identifiés, avec leur nom inscrit) qui ont vécu au XXe et même qui sont décédés au XXIe siècle… mais c’est pas une raison suffisante pour faire la grève générale de la procréation faut croire.

Je conclue en te laissant savoir que le nouveau gouvernement (élu en partie à cause de l’insatisfaction du peuple envers le plan «Skopje 2014» et tout l’argent public injecté dans l’«antiquitisation» des bâtiments du centre-ville) est en train de mener une campagne de «déconstruction» des projets qui sont le plus critiqués ou qui sont une insulte à l’histoire macédonienne.

Qui paie pour ça, dont?

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